MARTYRE SANS MORT ? IMPOSSIBLE !
- Hnasmdro
- marzo 20, 2023
- Expériences MDR
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« Il y a le martyre de ceux qui sont mis à mort pour n’avoir pas renié Jésus-Christ… Mais il y a aussi le martyre quotidien, qui n’entraîne pas la mort mais qui est aussi un “perdre sa vie” pour le Christ, accomplissant son propre devoir avec amour, selon la logique de Jésus… ! »
Pape François, Angélus du 4 juillet 2013.
– « Dépêche-toi, le bus passe déjà ! » crie la sœur Thérèse depuis la cuisine sœur Carmencinha.
– “J’arrive”, répond-elle, tout en changeant la blouse blanche de l’uniforme de sa congrégation pour une couleur rose. De la ville où se trouve sa communauté, elle se rend tôt à la capitale, aux bureaux centraux de migration continuer l’interminable gestion de sa résidence. C’est pourquoi elle essaie de ne pas porter les couleurs du drapeau, afin de ne pas attirer l’attention ou de se livrer à des malentendus. D’elle-même, elle sait que par le simple fait d’être religieuse et étrangère, elle a déjà un astérisque de sa part de la part des autorités. Elle a appris de certaines religieuses que les mois précédents, elles ne lui avaient pas permis d’entrer dans le pays, et ceci l’une d’entre elles étant un ressortissant du pays. Tout cela parce qu’ils portaient des t-shirts faisant allusion à la nation et des drapeaux dans leurs sacs, ainsi ceci fut interprété comme “artefacts menaçant la paix sociale”.
Carmencinha quitte la maison à la hâte, jusqu’à ce qu’elle atteigne le coin où elle peut prendre les transports en commun. Une fois à l’intérieur, il s’installe près de la fenêtre. Elle préfère cet endroit, car elle peut en même temps contempler le paysage, prendre l’air et même s’endormir sans trop somnoler. La gestion d’aujourd’hui lui fait un peu peur, car la dernière fois qu’elle est entrée dans le pays, elle a été emmenée dans une petite pièce semi-noire pour y être longuement interrogée. En effet, la compagnie aérienne ne lui a pas envoyé le questionnaire qu’elle devait remplir à temps, demandant au gouvernement de lui permettre d’entrer dans le pays. En plus, le coordinatrice de la communauté n’avait pas envoyé la demande d’entrée 7 jours avant son arrivée. Mais bon. Elle se remet entre les mains de Dieu en inclinant son siège et en fermant les yeux.
« C’est horrible ! Les religieux, les religieuses et les prêtres sont considérés comme un danger pour la nation » -se disait-elle dans son intérieur-. « Nous ne pouvons pas nous exprimer à partir de l’évangile, car on nous réprime ; même pas sortir en procession. Tout cela parce que nous ne pensons pas ou n’agissons pas comme ils le souhaitent. Ils voient la foi et ceux qui en vivent comme une menace. Marmonnant presque ces pensées, elle tomba dans un profond sommeil. – Dieu Saint !!! – cria-t-elle en se réveillant brusquement après l’arrêt du bus à cause d’une mauvaise manœuvre du véhicule qui le précédait. Après la frayeur, elle a regardé sa montre et s’est rendue compte qu’elle avait dormi pendant près de deux heures. Elle redressa son siège, appuya le côté droit de sa tête contre la vitre et continua son monologue intérieur : « Il y a tellement de choses que crier, mais je ne pouvais pas ! Je connais des sœurs d’autres congrégations qui, pour éviter les interventions et autres problèmes dans leur travail, se taisent ou, pire encore, se rangeaient du côté du pouvoir dominant. D’autres qui sont tombées dans l’épuisement et le découragement, sans parler de la peur qui les habite. Cependant, un autre groupe important qui résiste, avec espérance, accomplissant notre mission d’évangélisation avec tact, mais aussi avec sagacité ».
Elle se souvient de ce qu’elle a partagé dans un e-mail avec sa provinciale : « Je ne nie pas que parfois je ressens de l’impuissance, de la frustration et même de la résignation, voyant l’avenir avec désespoir. Mais, avec mes sœurs de la communauté, nous nous efforçons chaque jour de nous encourager, car les gens comptent sur nous et nous comptons sur eux. Je comprends qu’avant j’accomplissais diverses missions avec ardeur et dynamisme dans des contextes sociaux et ecclésiaux de prophétie. C’étaient des jours de gloire ! Mais aujourd’hui je dois être religieuse dans des temps ecclésiaux d’apocalypse ».
Carmencinha sort son téléphone portable et, entrant dans la galerie, commence à passer des photos pour se distraire et pour que le voyage ne devienne pas si lourd. Soudain, elle tombe sur une photo de groupe qui lui vole un sourire. C’est une rencontre de Vie Consacrée à laquelle elle a participé. Elle identifie quelques personnes connues et avec cela viennent d’agréables souvenirs de la réflexion de ce jour : « La vie consacrée est appelée à passer de la prophétie à la sagesse, sachant d’être, être fécond, en poussant la vie à partir du bas, en silence, de manière simple., restant, écoutant, sensibilisant en douceur, sensibilisant en secret ».
La sœur lève la tête, ouvre la fenêtre et laisse l’air frais effleurer son visage. Marmonnant la déclaration précédente, elle se rend compte qu’elle meurt chaque jour : mourir à ses propres prétentions de missions réussies où elle peut avoir un rôle plus important de protagoniste et de « sauveur » ; de missions de contextes prophétiques, où il est possible de dénoncer, proposer et faire ; des missions plus satisfaisantes dont les résultats sont plus visible et ressortent davantage.
Il passe ses journées, ses illusions, ses efforts dans ce contexte adverse qui surveille, contrôle, persécute, harcèle, contraint, opprime, génère plus de personnes appauvries, soustrait des opportunités et réduit de force au silence. Elle ne peut pas devenir sourde au cri de tant de personnes qui souffrent de la faim, de la maladie, du chômage. La question que les gens de la milieu lui ont adressée, à elle et à ses sœurs, résonne constamment en elle : « Est-ce que vous aussi vous allez partir et nous quitter » ? Et ses entrailles bougent.
Elle laisse sa vie parmi les gens qui se rassemblent pour prier, méditer la Parole de Dieu, en savoir plus sur le catéchisme et la Bible ; parmi les gens qui, tranquillement et en toute confiance parlent, parlent et parlent, jusqu’à ce qu’à se vider dans un soulagement sans espoir ; parmi les jeunes hommes et femmes qui se rencontrent encore dans la Pastorale des Jeunes comme un espace sûr et accueillant.
Et tandis qu’il dirige sa pensée vers les premières communautés chrétiennes, restées fidèles à leur foi en Jésus parmi les catacombes, du devant du bus, on annonce qu’on est arrivé au terminus. C’est alors que Carmencinha se rend compte qu’elle est arrivée dans la capitale et qu’elle est à trois rues de sa destination finale.
Nous venons de lire l’histoire de Carmencinha, très semblable à celle de tant de religieux présents à partir de leurs charismes particuliers, dans des contextes contraires à la foi. Dans une église apocalyptique, en tant que religieux, le martyre quotidien nous place sur le plan de la marche avec les gens, plus dans une attitude de voir, d’être et d’écouter que de « résoudre », de « solutionner ». Parfois, en tant que femmes consacrées, nous avons été remplies d’un sentiment de découragement et de frustration de n’avoir pas été les “sauveurs” de certaines situations et personnes. Il nous est difficile de marcher à côté, car traditionnellement c’est nous qui marchons devant ou derrière en poussant. La spiritualité vécue par les premières communautés chrétiennes fait cependant de nous des compagnons qui accompagnent et se laissent accompagner : « Je suis un peuple » Ceci est une phrase que je dois prier chaque matin à l’aube et me préparer pour la journée.
Quel martyre de plus que de perdre ma vie chaque jour, pas à pas, goute à goute, accomplissant mon devoir et ma mission avec conviction et passion ? Quel martyre de plus que de se réveiller chaque jour en voulant rester au milieu d’une apparente “stérilité” et d’une apparente impuissance, même avec d’autres possibilités de missions plus satisfaisantes et innombrables ? Quelle autre forme de plus de mort que de vouloir dénoncer, sortir manifester, crier, m’exprimer librement, entrer et sortir de chez moi sans être surveillé, brandir publiquement le drapeau d’un pays, prier avec foi dans des réunions de communautés chrétiennes pour les réalités de la mort qui nous étouffent ? parler ouvertement avec une personne, sans besoin de secret ou sans méfiance à la limite… et ne pas pouvoir ?
Peu importe où nous devons être présentes en tant que femmes consacrées, nous restons fidèles à l’appel de Jésus et continuons à nous inspirer de ses paroles :
« Quiconque veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi, la sauvera.”(Lc 9, 24).